mercredi 4 septembre 2013

A PROPOS DE KRISZTINA RADY par Eva Füzesséry

« Mes grands-parents s'efforçaient de garder la famille réunie. Malgré la pauvreté qui s'était abattue sur nous, les maigres ressources dont nous disposions étaient partagées avec toutes sortes de parentés proches ou éloignées qui venaient animer notre quotidien. Même si notre famille était nombreuse, quiconque traversait une période difficile dans l’entourage trouvait chez nous l’hospitalité.

A la suite du bombardement de la propriété familiale, cette tradition perdura encore après le repli à Budapest dans les appartements qui servaient de bureaux et de pied à terre jusque-là. Avec nous séjournèrent successivement, la mère du gardien de prison de grand père par qui grand-mère a pu lui faire parvenir de la nourriture pendant le procès, la mère veuve de notre avocat, une orpheline de père, un baron veuf dépossédé de ses biens, une jeune fille dont le père avait été emprisonné par le nouveau régime, et bien d'autres.

La proximité avec les adultes nous sensibilisa au monde des grands, aux épreuves et aux valeurs, nous avions pris l’habitude de parler de tout, même des événements douloureux, voire de la mort. Cette confrontation précoce aux questions essentielles et au destin de ceux qui ne faisaient pas partie de la famille, n’était elle pas aussi déjà une manière de nous préparer à la vie ? »

Le Tango de l’Archange

de Budapest au 5 rue de Lille

éd. Erès 2006

Ceux qui ont eu l’occasion de lire Le Tango de l’Archange, se souviennent, peut-être, de ce petit passage où j’ai évoqué notre tradition familiale : celle d’accueillir des personnes en difficulté dans notre entourage et parmi d’autres, une jeune fille dont le père avait été emprisonné par le régime communiste. Je revois encore aujourd’hui cette belle jeune fille de mon âge qui fut conduite chez nous par sa mère, cette dernière demandant à ma grand’mère de garder sa fille au sein de notre famille, afin qu’elle puisse vivre désormais avec nous. Cette jeune fille n’était autre que Csilla, la future mère de Krisztina Rady.

Nous avons accueilli Csilla dans notre chambre de jeune fille, où nous étions déjà trois avec ma sœur, ma très jeune tante, et nous sommes devenues de très bonnes amies. Je pouvais très bien comprendre son chagrin, car nous-même avec mes frère et sœur, nous fûmes séparés de nos parents, notre père fut emmené en captivité par les Soviétiques, notre mère étant gravement malade.

Je la revois, quelque temps plus tard, avant son premier rendez-vous, pleine d’émotion et d’espoir, avec Feri Rady, son premier amour.

Séparée de sa mère, qui en l’amenant chez nous, voulait lui assurer une meilleure vie, son père étant en prison, elle avait envie de se marier tôt, pour mener sa propre vie. Ce jeune homme, artiste peintre, devint son mari et le futur père de Krisztina Rady.

Lors d’une visite de Csilla à Paris, elle est venue me voir avec sa fille Krisztina, qui portait dans ses bras son premier enfant qu’elle a eu avec Bertrand Cantat. Nous étions très heureuses de ces retrouvailles.

J’arrête là l’évocation de mes souvenirs… C’est d’ailleurs la lecture des articles après la mort de Krisztina, les échanges avec sa mère, qui ont ravivé ces souvenirs de notre jeunesse.

C’est alors qu’un parallèle entre le destin de Krisztina et celui de sa mère se dessina devant mes yeux : toutes les deux ressentaient durement la séparation par rapport à leurs parents à une période où ils en auraient eu le plus besoin. C’est ce qui ressort aussi du dernier message de Krisztina laissé à ses parents, et par ailleurs, toutes les deux – bien que pour des raisons totalement différentes - ont éprouvé une grande souffrance par rapport à un homme qui se retrouva en prison, pour Csilla ce fut son père, pour Krisztina son mari.

Comment comprendre ces lignes du destin redessinant des configurations semblables d’une génération à l’autre ? Comment repérer ces répétitions à travers les générations de ces figures du destin qui nous déterminent et qui sans être ramenées dans le champ de la parole nous mènent malgré nous à une destination que nous n’avons pas choisie ? La philosophie hindouiste parle de graines de karma plantées dans le terreau de notre destin au-delà de notre conscience, à concevoir comme conséquences de nos actes, de certains événements traumatiques qui se transmettent malgré nous.

Comment les déterrer, les reconnaître, les brûler ces graines de karma, afin qu’elles arrêtent de perpétuer leur éclosion néfaste ?

Ce serait peut-être la tâche de la génération suivante.

A ce propos, les paroles de Gandhi, l’apôtre de la non-violence, me viennent à l’esprit :

Soyez vous-même le changement que vous souhaitez voir dans le monde

Or il n’y a pas de changement possible sans l’intégration symbolique de notre passé nous permettant d’advenir à notre présent, cette fois-ci choisi.

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