jeudi 1 mai 2014

Des mots et des noms par Adam Biro

Myosotis (Myosotis scorpioïdes Linné), Vergißmeinnicht, niezapominajka, forget-me-not, nefelejcs, nontiscordardime, nu-mă-uita
Message. Un moment, dans la nuit du dimanche 30 mars, j’ai pensé qu’il ne faisait pas bon d’être oto-rhino en France ces jours-ci. Comme suite aux élections municipales, tous les politiciens dont, pour mon déplaisir et par une déformation pathologique je retiens les noms inutiles, tous, de l’extrême ailleurs au centre radical, ont « entendu le message ». Ils l’ont répété à satiété, sur les ondes, sous les ondes, « j’ai entendu le message », « nous avons entendu le message », « le gouvernement a dû entendre le message ». Tout le monde entend très bien, plus besoin de médecin. Et puis quelques jours après, le lecteur-écouteur-voyeur de base de mon espèce a pu se rendre compte que personne n’avait rien entendu. Il y avait un message ? Les oto-rhinos peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Et les ophtalmos peuvent opérer les yeux fermés. Puisque personne ne voit rien, non plus.
J’écris cela, énervé— en train de lire Tocqueville, normal… — et je m’arrête. Ils ne voient rien, ils n’entendent rien… C’est faux. Ils voient les fastes et les privilèges dus aux champions (faillis, victorieux, peu importe) de la chose publique, ils entendent les trompettes de la renommée, et surtout, ils sont attirés par l’odeur aphrodisiaque du pouvoir. (Quelle banalité ! Ça ne changera donc jamais ? Non, jamais. Cicéron déjà…)
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Croissance. Tout le monde la réclame et tout le monde sait qu’à force de croître, nous irons dans le mur. Nous détruirons la Terre, son fragile équilibre, les myosotis — et la vie humaine. C’est scientifiquement prouvé. Mais il faut gagner les élections. Il fut un temps où la défense de l’environnement était un vrai souci. Le très officiel rapport Mansholt, en 1968, prônait la croissance zéro. Allons donc, enfants de la Patrieeeee, qui s’intéresse à l’avenir lointain de la Terre ? Sûrement pas les écolos français. Eux, de moins en moins verts, font urgemment de la politique.
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« Une démarche citoyenne », « une pensée citoyenne », « une attitude citoyenne », « un esprit citoyen »… Pour que j’utilise ce mot égosillé à gogo par tous les politicards, tous les égoïstes, tous les ennemis de la vie commune, entièrement vidé de son sens, j’attends la saison des cerises citoyennes et des concombres citoyens. Au levain. Je sais les préparer.
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Élections. Le candidat écolo-vert de mon arrondissement parisien m’explique qu’« il faut rendre (?) les ateliers de couture ou de confection aux habitants ». (Je le traduis en français pour ceux qui ne parlent pas le citoyen : il faut boboïser un quartier populaire, vendre ou louer à prix d’or d’anciens ateliers à loyer -trop- bas.) Les ouvriers qui y travaillent n’ont qu’à aller en banlieue — où, de toute façon, habiteront tous les jeunes, tous les vieux, et les immigrés de tout âge. On sera enfin entre nous, entre citoyens. J’essaye de lui dire qu’une ville pour qu’elle soit viable et humaine doit être un tout, un monde, un mélange de jeunes et de vieux, de pauvres et de riches, d’ateliers, de bistrots, de bordels, de boulangeries, de boucheries et de banques, mais il m’a déjà tourné le dos. Je veux aller, du coup, boire un café dans le quartier d’où il faut extirper la confection. Trois euros cinquante au comptoir. Chouette ! Ils seront drôlement contents, « les habitants ». Et il n’y aura pas besoin d’expulser les ateliers. Ils partiront d’eux-mêmes.
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Des noms.
L’auteur du Sabina Poppæa, l’une des plus belles œuvres du Musée d’Art et d’Histoire de Genève, est anonyme. Pour le moment. Un jour les érudits l’identifieront. J’espère. Et même si… L’œuvre est là.
J’ai vu les toiles et les quelques, trop peu de dessins de l’exposition « Les fêtes galantes » au musée Jacquemart-André à Paris. J’aime cette époque, ce mortifère Ancien régime. « Qui n’a pas connu… », etc. S’embarque-t-on pour Cythère ou plutôt pour l’Au-delà chez le grand Watteau, mort à trente-sept ans (tout comme Raphaël, Toulouse-Lautrec, Van Gogh, Rimbaud) ? La mélancolie est partout… cela mériterait développement. L’affiche de l’exposition montre le détail d’un tableau. Avec le logo bien visible de tous les sponsors, et il y en a. Le nom du musée, son adresse Fessebouc, Twitter, Mickey Mouse. Et © RMN, bien sûr. Et le nom de l’agence de communication surdouée qui a sous-traité l’affiche auprès d’un graphiste. Et le nom du photographe. Il le mérite. Quel talent ! Un détail y manque : le nom du peintre.
Quel peintre ? De quoi parles-tu ? Ce n’est pas un tableau. C’est de la pub. Mais un jour, on aura oublié et Jacquemart, et André, et la RMN et l’agence Schnürff… et il ne restera que Nicolas Lancret. J’espère. Sinon, pas grave. Son œuvre résistera.
La Fondation Hans Wilsdorf, propriétaire de Rolex, a offert en 2012 un très beau pont, moderne et original à la ville de Genève. Le pont Hans Wilsdorf. Il relie, par-dessus l’Arve, la rue de l’École de Médecine à la rue Hans Wilsdorf. Devant le pont, une douzaine de grands panneaux montrent d’abord le portrait du patron décédé, Hans Wilsdorf, puis les étapes de la construction du pont, les esquisses, l’idée de départ. Ils illustrent le travail des scaphandriers et des ouvriers. Un détail y manque : le nom des architectes.
Quels architectes ? De quoi parles-tu ? Ce n’est pas de l’art. C’est de la pub. Mais un jour, on aura oublié et Hans, et Wilsdorf, et Ro et lex et seuls Brodbeck, Roulet et associés survivront. J’espère. Et l’Arve avec, à cette saison, plein de myosotis sur ses bords. Peut-être. Si les chevaliers de la croissance leur laissent une chance.
adam biro
mai 2014
biroadam4(AT)gmail.com

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