dimanche 1 février 2015

COMÉDIE MUSICALE par Adam Biro

Photo © G. Luy

En début d’année(s), on prend des résolutions, on se fait des vœux et des promesses. Par exemple, pendant plusieurs années, j’ai fermement décidé de ne plus détester mon prochain en partant de chez moi le matin. Le motard trop bruyant et qui, de surcroît, roule sur le trottoir, la dame qui laisse son cabot crotter sur le même trottoir, la meuf trop moche et trop vulgaire, le keum trop élégant, le môme sur son skate, un keuf simplement parce qu’il est là…
Comme je n’ai jamais réussi à respecter ma résolution plus d’une semaine, cette année j’ai abandonné ce vain exercice pour me livrer au bilan. De la vie, en toute simplicité.
Je vieillis. Si, si, inutile de me dire « tu n’as que cent vingt ans, ce n’est pas beaucoup, et en plus tu ne les fais pas ». Viendra la décrépitude (sauf accident de moto, de skate ou morsure de chien enragé), agrémentée de divers maux psychiques et physiques, puis je mourrai. Avec moi disparaîtra tout ce que je savais, ce que j’ai appris et ressenti, mes expériences, mes goûts, mes connaissances, ma mémoire et aussi mes défauts. Les liens que j’ai tissés ou que d’autres ont tissés en m’englobant, de sympathie, d’amitié, d’amour ou de haine, et qui ont fait ma vie.
Ceux que j’ai aimés, détestés ou simplement connus mourront aussi.
Puis, un peu plus tard, la Terre se refroidira, le globe s’effacera avec toute vie, toute trace des BD, des religions, des sentiers de randonnées, des croyances, des idées, des luttes politiques et des concombres au levain. Avec la Terre se volatiliseront les gratte-ciel, Lascaux, Ponteau-la-Forêt et Venise. Les œuvres et les pensées d’Einstein, de Shakespeare, de Schubert, de Michel-Ange, l’existence passée des rosiers, de Charlemagne, des ragondins et des coccinelles s’égaliseront jusqu’à leur souvenir et pèseront du même poids : zéro.
Ici, elle intervient. « Arrête. Tu es sinistre. C’est trop sérieux et pas très original. Essaie d’être léger. » Mais bien sûr, voyons. Ce n’est que la mort. Tout ceci est pour rire. Sose halunk meg. Nous ne mourrons jamais.
Peu de temps après (cela ne veut rien dire, le temps n’existera plus), le Soleil se refroidira à son tour et le système solaire se dissoudra aussi, englobé dans une autre unité.
Qu’est-ce à dire ? Que ceux et celles qui ne croient pas à l’immortalité de l’âme se suicident tout de suite ou se laissent mourir et qu’ils ne fassent pas d’enfant, puisque rien ne sert à rien ? Nos luttes, nos souffrances, nos plaisirs, nos pensées, nos connaissances, nos amours sont d’ores et déjà condamnés à la disparition, au néant et la trace physique, et seulement physique que nous laisserons dans l’Univers sera réduite à quelques infimes atomes au milieu de milliards de milliards et de milliards d’autres.
J’essaie d’être léger : faisons comme si. (Dans un de ses films, Woody Allen enfant rêvasse à table. « Mom, l’Univers est en expansion », dit-il. Et sa mère lui répond : « Mange ta soupe et ne t’occupe pas de l’Univers. ») Je rêve de voyages, projette des livres à lire ou à écrire, des plats à préparer pour le Réveillon de l’an prochain. Il y a des gens que j’aimerais connaître, aider, essayer d’aider et d’autres qui ont des choses à m’apprendre. Imaginons que la Terre est vaste, révoltons-nous contre nos malheurs et celui des autres, fêtons le gain de 7 euros 70 à l’Euromillionaire, plantons du raifort au bord du ruisseau pour assaisonner les concombres au levain, continuons à vitupérer le gouvernement, à débattre pour savoir si ce que fait Jeff Koons est de l’art et bien que nous sachions que nos amours ne sont pas éternelles, faisons-en une raison de vivre, en attendant…
On rejoue Funny Face rue Champollion. Avec Audrey Hepburn.
……………
« Comme ça, ça t’va mieux ? »

P.S. Plusieurs personnes m'ont dit qu'ils n'ont jamais aimé Charlie Hebdo. Moi, chaque fois que j'ai eu l'occasion de le lire, j'ai ri et y ai trouvé un immense plaisir, malgré (ou à cause ?) des plaisanteries stupides sur les handicapés, les pauvres, les juifs, les catholiques ou les musulmans. (Je me souviens d'une engueulade avec des amis quand Harakiri s'est moqué des enfants du Biafra.)
Le hasard veut que je sois justement plongé sinon noyé dans Freud (dans Le Mot d'esprit et dans un texte moins connu, de 1927, Der Humor). Et grâce à Sigmund, je viens de comprendre pourquoi j'aime Charlie et j'ai aimé Harakiri. Ces journaux, comme la littérature pornographique, comme la lecture des faits divers, permettent à mon moi de vaincre le surmoi, et du même coup acquérir un immense Lustgewinn, un gain de plaisir. Que, toujours selon le bon docteur, seul le rêve me permettrait d'obtenir.
Des bonnes âmes ont ânonné à la télé et à la radio, que "les dessinateurs de Charlie étaient gentils, qu'ils n’auraient pas fait de mal à une mouche". C'est tout faux. Ils étaient salaces, grossiers, vulgaires, hargneux, satiriques, cyniques, iconoclastes, blasphémateurs. Quant aux mouches… si vous saviez ce qu’ils leur faisaient… Notre moi a besoin de cela. J'espère que Charlie ou un autre journal « pas gentil » reprendra (j'allais dire le flambeau, mais le mot ne correspond guère à ces potaches malotrus) disons le crayon, et que cet esprit, qui, s'il est, comme on dit, français (?), durera et perdurera.
Autre chose, la même chose : c’est avec attendrissement que j’ai vu le Hongrois OrbánViktor marcher au premier rang de la manif du 11 janvier. Et Hollande a eu tort de lui serrer la main avec tant de distance et de froideur. Il aurait dû le serrer sur son cœur et faire plein de bisous sur la bouche de cet ennemi acharné de la presse libre transformé d’un coup en champion de la liberté !

adam biro
février 2015
biroadam4(AT)gmail.com

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