mercredi 10 juin 2015

Hongrois à Paris – 1. Dans l'étreinte de la langue et de la culture

Voici le premier d'une série d'articles à paraître dans l'édition hongroise du Monde diplomatique.
Éva Gyarmati-Szabó nous fait l'honneur de s'intéresser aux activités de l'association des Mardis hongrois de Paris. L'article original étant rédigé en hongrois magyardiplo.hu , en voici une traduction en français.

Par Éva Gyarmati-Szabó

En plein centre de Paris, là où converge le plus grand nombre de lignes de métro, au premier étage de la brasserie Café Bords de Seine, au 1 place du Châtelet se trouve le lieu de rendez-vous des Mardis hongrois de Paris, qui existent depuis désormais onze ans. C'est le point de rendez-vous des Hongrois qui vivent dans la capitale française ou ses environs, y travaillent depuis des décennies, ou seulement quelques années, quelques mois ou quelques semaines, mais également des Hongrois bien informés qui ne sont à Paris que de passage ou y demeurent pour un temps plus ou moins long. Sans oublier, il faut le préciser, ceux des représentants d'autres nations qui sont amoureux de la langue et de la culture hongroise, les admirateurs des valeurs hongroises. N'importe qui, quel que soit son âge, son sexe, sa conception du monde, son appartenance politique peut se rendre au rendez-vous organisé toutes les deux semaines. Comme leur blog* l'indique, le but est l'échange d'informations, la conversation magyare, l'exercice de la langue hongroise qui naturellement se mélange avec le français, puisque nombreux sont ceux – déjà nés ici – qui arrivent à peine ou du moins ont du mal à trouver les mots hongrois. Des personnes plus âgées, de grande expérience, aux destins intéressants, viennent aussi volontiers aux soirées du mardi que des personnes d'âge moyen plus concentrées sur leur travail, leurs moyens de subsistance ou que des membres de générations plus jeunes recherchant actuellement leurs objectifs de vie.

Dans la série d'articles qui débute ici, nous allons en faire parler quelques-uns, en montrant les diverses raisons, situations et motivations qui conduisent et séduisent quelqu'un de Hongrie vers l'étranger, singulièrement la France et Paris et cette force motrice individuelle qui malgré tout leur est commune - quoique se manifestant différemment – qui les pousse les uns vers les autres et cela c'est la langue hongroise, la culture hongroise, les racines communes. En premier lieu nous allons bavarder avec Jean-Pierre Frommer, le président de ces rencontres qui, depuis, se sont érigées en association, ou, comme il se présente lui-même, comme son co-créateur.

Les Mardis hongrois de Paris est une association mondiale, dont le but est de réunir les personnes intéressées par la Hongrie, qu'elles en soient originaires ou non, indépendamment de leurs opinions philosophiques, politiques ou religieuses. De plus, le but des rencontres parisiennes est de permettre l'échange d'informations, le partage des cultures, la prise de connaissance de la culture par la conversation magyare et toutes autres activités communes. Cette profession de foi apparaît tant sur leur blog que sur Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Pourquoi trouvez-vous si important de mettre l'accent là-dessus, alors que tant d'autres organismes hongrois fonctionnant en France font la même chose beaucoup plus légèrement sans le signaler ?
– Précisément pour cela ! Parce que dans le monde actuel, où en invoquant des motifs divers les gens s'éloignent les uns des autres, il est grand besoin d'associations, de sociétés, de groupes renforçant leur union. Nous faisons partie de ceux-là, nos visiteurs doivent le savoir, mais comprendre aussi que les personnes qui veulent afficher et propager des positions extrémistes mettant en danger notre union n'ont pas leur place parmi nous.
D'où a germé l'idée des « Mardis hongrois de Paris » ? Quand s'est-elle réalisée et qui l'a fait naître ?
- C'est essentiellement une conception de vie, un sentiment de manque qui a appelé sa création, un sentiment d'appartenance à quelque part, je recherchais mes racines – raconte Jean-Pierre Frommer. - Mes parents ont émigré d'abord en 1934 puis en 1936, au moment de la grande crise économique mondiale, vers la France, plus précisément l'Algérie qui était alors colonie française, à la recherche de nouveaux moyens d'existence et d'un contexte plus vivable. Mais à chacune de ces deux fois, au bout de quelques mois, le mal du pays les a ramenés à Budapest. Après la Seconde Guerre mondiale, à l'époque du grand recommencement, en 1946, ils ont repris la route de la France et ont posé leurs bagages en 1947 avec leur petit garçon, mon grand frère. Et moi, j'ai vu le jour déjà ici en mai. Mes parents qui travaillaient comme tailleur, par leur dur labeur, nous ont tout procuré pour l'essentiel et c'est ainsi que j'ai pu aussi accéder à l'université. A la maison nous parlions toujours hongrois et mes parents se réunissaient avec les Hongrois qui vivaient à Paris et dans sa région. Tous les dimanches – si le beau temps le permettait – nous pique-niquions près de la Marne, à Gournay, les adultes se perdaient dans leurs bavardages, jouaient aux cartes ou aux échecs et nous, les enfants, nous jouions, nous faisions du sport. J'y trouvais du plaisir et cela a renforcé en moi le sentiment d'appartenance. C'est là essentiellement le modèle qui a prévalu à la création des Mardis hongrois de Paris. En prenant de l'âge, plus précisément au fil de mon changement de vie, se renforçait en moi la nostalgie des anciennes joies de l'agréable vie communautaire.
- La famille ?
- J'ai un fils de 43 ans qui s'occupe de logistique, après vingt ans de mariage j'ai divorcé de ma femme, mais nous sommes restés bons amis jusqu'à ce jour. Je suis divorcé mais non solitaire, voyez cette association est ma grande famille. La solitude peut être un grand moteur, si l'on souhaite trouver une vraie famille. Mon père est décédé tôt, en 1971, ma mère en 2002, à la suite de quoi, presque sans arrêt, je recherchais des contacts hongrois, parce que les contacts hongrois de mes parents avaient disparu, les anciens amis mourant les uns après les autres et je n'avais plus personne avec qui parler hongrois. Internet m'a beaucoup aidé à trouver et développer de nouveaux contacts hongrois parce que c'est ainsi que j'ai pu connaître nombre d'organismes et de personnes avec lesquelles j'ai pu ensuite lier des amitiés pour un grand nombre...
-… et c'est de là qu'est née l'association ?
- Oui, après cela c'est avec les nouveaux amis que s'est poursuivie l'histoire de la naissance de notre association, car nous avons commencé à nous rencontrer aussi personnellement et quelques rencontres plus tard les amis des amis sont venus, progressivement notre compagnie commençait à croître. Le mot « Mardi » s'est trouvé inscrit dans notre nom car c'est ce jour-là que nous étions le plus nombreux, il s'est révélé que c'était le meilleur moment pour nous rencontrer. En définitive, notre compagnie de quatre, en dehors de moi, Zsuzsa Szabó, la veuve de l'écrivain Zoltán Szabó, en outre Stephane Serrechia d'origine italienne, ainsi que mon ami Alain Dodeler – tous deux adorent la culture hongroise et les Hongrois – nous avons décidé d'ouvrir nos rencontres à d'autres. Nous avons constitué les Mardis hongrois de Paris, le 9 septembre 2003 avec quatre sortes de motivations. Moi par exemple, je compense mes parents, mon chez moi. De la même manière, chacun qui vient parmi nous a ses propres mobiles affectifs et intellectuels. Au début nous étions à peine quelques-uns, aujourd'hui nous sommes environ huit cents. Évidemment, ne viennent à nos soirées du mardi que ceux qui sont justement disponibles à ce moment-là. Bon an mal an, nous nous réunissons en général au maximum à vingt ou trente...
- Tout de même, est-il possible de déterminer qui vient ici principalement ?
- Le plus souvent ont pourra trouver dans nos rangs, sans distinction, des intellectuels, des artistes, enseignants, médecins, ingénieurs mais il y a parmi nous des économistes, des sociologues et aussi plusieurs étudiants d'université ou de grande école. Il y a un noyau dur d'habitués mais bien sûr à chaque rencontre on découvre de nouveaux visages.
- Vous, vous occupiez de quoi ? Quelle est votre profession ?
- J'ai acquis des savoirs sur différents champs de connaissance, j'ai par exemple étudié la philosophie et la sociologie à la Sorbonne, mais j'ai finalement acquis une qualification d'ingénieur dans les systèmes d'information au sein du Ministère de l'Écologie – qui a soutenu mes études jusqu'au bout – et où je m'occupais d'urbanisme.
- En dehors des soirées présentes, avez-vous d'autres types de programmes organisés ailleurs ?
- Oui, nous nous raccrochons à de nombreux programmes organisés par toutes sortes d'autres organismes hongrois, particulièrement nous assistons volontiers aux événements de l'Institut hongrois de Paris, nous avons même organisé des programmes ensemble. A la faveur du beau temps nous organisons aussi des pique-niques, également des rencontres couplées avec des dégustations de plats hongrois, des festivals de danse, des journées de fêtes diverses. Depuis nos rencontres amicales informelles jusqu'à la défense du patrimoine culturel notre spectre d'activités est fort large.
- Que signifie la défense des valeurs culturelles dans votre association ? Et pendant les onze ans, y a-t-il eu des événements qui pour une raison quelconque sortent du lot, qui vous sont apparus très importants ?
- Dans la vie de notre association, la défense des valeurs culturelles a eu une période culminante, qui a commencé il y a plus de sept ans, lorsque nous nous sommes raccrochés à l'initiative de l'association hongroise Óvás!**. Nous nous sommes lancés dans la collecte de signatures, nous nous sommes adressés par pétition à l'UNESCO, au gouvernement hongrois, aux dirigeants de la capitale, pour la sauvegarde d'Erzsébetváros, le Quartier juif de Budapest qui fait partie du Patrimoine mondial de l'UNESCO. Malheureusement, l'aménagement urbain à Budapest est de la compétence des arrondissements et non pas de la capitale comme chez nous à Paris, c'est pourquoi, le VIIème arrondissement pouvait condamner à la destruction des œuvres architecturales irremplaçables et planifier des solutions architecturales « nouvelles » en remplacement des immeubles de style classiciste, sécession, mettant ainsi en danger l'aspect du quartier dans sa totalité. Nous étions effarés de voir que les dirigeants du pays ne bougeaient pas, que Budapest en tant que capitale ne réagissait pas à ces intrusions barbares contre l'image de la ville, alors que -sous l'effet renforcé par notre appel – Paris a bougé et avec lui pratiquement « la moitié du monde ». Cela nous a étonné nous-mêmes de constater l'importance dans de larges sphères de l'écho et de l'indignation que ces faits ont produit en France et même au-delà. Un nombre important de signatures nous sont parvenues de Français vivant à Budapest et de Hongrois, de Berlin, de Milan, d'Amsterdam, de Bruxelles, de Genève, de plusieurs villes des États-Unis et du Canada aussi. La pétition a été signée par plusieurs maires d'arrondissements parisiens et un membre de la Commission du Vieux Paris, des architectes de l’État et des experts en urbanisme, des historiens, des personnalités françaises et hongroises de renom, parmi eux (peu de temps avant sa mort) François Fejtö ainsi que Tibor Méray. Nous avons créé un blog** spécifique pour rendre public notre combat commun. En France, Le Monde, parmi d'autres, a enfourché le sujet, en publiant mon article qui lui était relatif***, Direct Matin et Courrier International s'en sont aussi fait l'écho, et de plus, des pages web et des radios ont suivi. En Hongrie, Élet és Irodalom (Vie et littérature) entre autres, a réalisé une grande interview avec moi**** ainsi que Radio Kossuth. Après avoir missionné son expert, le comité ad hoc de l'UNESCO a émis des recommandations à l'État hongrois, qui si elles ne sont pas respectées, pourraient entraîner des sanctions...
- Cela a-t-il donné des résultats ? Et quels sont les derniers développements ?
- Le Comité du Patrimoine de l'UNESCO, lors de sa session de l'été 2013 a réclamé qu'un moratoire soit décrété sur tout changement dans la zone tampon des territoires inclus dans le Patrimoine mondial, parmi ceux-ci prioritairement le Quartier juif, jusqu'à ce qu'une protection et une réglementation satisfaisantes aient été instaurées. Depuis, deux ans se sont écoulés mais le moratoire sur les changements n'a pas été édicté par la partie hongroise. L'Institut hongrois de Paris, il y a un peu plus d'un an, - à l'initiative de l'association Óvás! - a organisé une série d'événements sur le thème « Quel avenir pour le Quartier juif de Budapest ? » avec des expositions de photos, des projections de documentaires et une table ronde autant d'événements auxquels nous avons collaboré.
- Globalement comment évaluez-vous votre engagement pour la sauvegarde de valeurs culturelles ? Et quelles seront les suites ?
- Finalement, même si nous n'avons pas pu empêcher toutes les destructions, en tant que principal soutien à l'étranger de l'association Óvás ! nous avons réussi à faire obstacle à la totale destruction. C'est à ce moment-là que j'ai senti à quel point l'union fait la force. Nous avons réussi à sauver presque 30 immeubles, mais hélas, les destructions se poursuivent, certes par d'autres moyens. C'est pourquoi nous gardons un « œil vigilant » sur Budapest, sur le Quartier juif, car faisant partie du Patrimoine mondial, il appartient aussi bien aux Budapestois, qu'à la Hongrie, qu'aux habitants des autres pays – il est donc aussi nôtre, il nous appartient à tous. C'est pourquoi notre tâche de défense des valeurs culturelles est permanente
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Beaucoup de sortes d'organisations hongroises fonctionnent en France avec des buts différents. Par exemple, l'une des plus importantes est Párizsi Magyarok (Hongrois de Paris) qui a environ deux mille membres, un autre, Párizsi Magyar Közösség (La communauté hongroise de Paris) qui en compte environ mille. Ces deux groupes existent sur Facebook et beaucoup de membres appartiennent simultanément aux deux, mais – selon nos informations -peu d'entre eux se rencontrent dans la vraie vie et pas souvent. Il y a aussi la communauté Magyarok Dél-Franciaországban (Hongrois du sud de la France) et notre groupement d'environ huit cents personnes. Sur le modèle des Mardis hongrois de Paris quelques organisations similaires ont vu le jour comme les Mardis hongrois de Montpellier et les Mardis hongrois de Lyon, et il en existe même à l'étranger, l'un à Helsinki (Unkarilaiset Tiistait) et l'autre à Berlin (Hungarische Dienstage). Nous n'avons pas de rapport organisationnel avec ces associations, mais en fait, à ces quatre endroits, ce sont d'anciens participants des Mardis hongrois de Paris qui les ont fait naître. Bien sûr en dehors de cela il existe différents groupes amicaux franco-hongrois ou hungaro-français de nature professionnelle, artistique et d'autres profils culturels, ou d'autres groupements associatifs organisés sur d'autres bases (par exemple confessionnelles, ou à contenu politique).
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Les jeunes et les étrangers ont cependant découvert, dans sa déliquescence le Quartier juif, l'ambiance particulière de ses rues, de ses maisons, de ses jardins, de ses cours, ainsi que son passé et sa magie. L'ancien Quartier juif, à peine connu il y a encore dix ans, est devenu aujourd'hui l'un des endroits les plus visités de la ville. L'une des raisons évidentes en est l'incroyable popularité dans les cercles de la jeunesse hongroise et étrangère des bars en ruine (romkocsma) qui se sont installés dans les immeubles classés, restés vides depuis de longues années, leurs cours, leurs jardins, sauvés depuis 2004. En même temps, cela représente une charge insupportable pour les habitants qui y vivent.

(…) De manière très sporadique et seulement à un ou deux endroits, la réhabilitation des immeubles anciens a néanmoins commencé et, uniquement à un endroit, avec le soutien de l'Union européenne, une partie des immeubles de la section de rue faisant face à la synagogue orthodoxe de la rue Kazinczy a été rénovée et à côté de cela quelques rues ont reçu un nouveau revêtement. (Détails dans l'interview du 25/02/2008 parue dans Élet és irodalom)


Références :
** – Óvás! Association hongroise créée en 2004 pour la défense de l'héritage culturel de l'ancien Quartier juif de Budapest www.ovasegyesulet.hu
**– Blog français pour la défense du Quartier juif de Budapest
htt p://sauvezbudapest.hautetfort.com/
**** – Interview de Jean-Pierre Frommer dans Élet és Irodalom
http://www.es.hu/cserba_julia;potolhatatlan_europai_ertek_sorsa_forog_kockan;2008-02-25.html

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